Le Jeu de l'amour et du hasard, Marivaux - Extrait

Modifié par Delphinelivet

Dans Le Jeu de l'amour et du hasard, de Marivaux (1730), Silvia, fille de Monsieur Orgon, veut connaître, avant de l'épouser, le fiancé que son père lui destine. Pour découvrir le vrai visage de Dorante, elle se travestit et échange sa place avec Lisette, sa servante. Elle espère ainsi pouvoir mieux observer son prétendant. Mais le jeune homme a eu la même idée qu'elle…

Acte II, scène 9

DORANTE.
Ah ! ma chère Lisette, que je souffre !

SILVIA.
Venons à ce que tu voulais me dire. Tu te plaignais de moi quand tu es entré ; de quoi était-il question ?

DORANTE.

De rien, d'une bagatelle ; j'avais envie de te voir, et je crois que je n'ai pris qu'un prétexte.

SILVIA, à part.
Que dire à cela ? Quand je m'en fâcherais, il n'en serait ni plus ni moins.

DORANTE.
Ta maîtresse, en partant, a paru m'accuser de t'avoir parlé au désavantage de mon maître.

SILVIA.
Elle se l'imagine ; et si elle t'en parle encore, tu peux le nier hardiment ; je me charge du reste.

DORANTE.
Eh, ce n'est pas cela qui m'occupe !

SILVIA.
Si tu n'as que cela à me dire, nous n'avons plus que faire ensemble.

DORANTE.
Laisse-moi du moins le plaisir de te voir.

SILVIA.
Le beau motif qu'il me fournit là ! J'amuserai la passion de Bourguignon ! Le souvenir de tout ceci me fera bien rire un jour.

DORANTE.

Tu me railles, tu as raison ; je ne sais ce que je dis, ni ce que je te demande. Adieu.

SILVIA.
Adieu, tu prends le bon parti… Mais, à propos de tes adieux, il me reste encore une chose à savoir. Vous partez, m'as-tu dit ; cela est-il sérieux ?

DORANTE.
Pour moi il faut que je parte ou que la tête me tourne.

SILVIA.

Je ne t'arrêtais pas pour cette réponse-là, par exemple.

DORANTE.
Et je n'ai fait qu'une faute ; c'est de n'être pas parti dès que je t'ai vue.

SILVIA, à part.
J'ai besoin à tout moment d'oublier que je l'écoute.

DORANTE.
Si tu savais, Lisette, l'état où je me trouve…

SILVIA.
Oh, il n'est pas si curieux à savoir que le mien, je t'en assure.

DORANTE.
Que peux-tu me reprocher ? Je ne me propose pas de te rendre sensible.

SILVIA, à part.
Il ne faudrait pas s'y fier.

DORANTE.
Et que pourrais-je espérer en tâchant de me faire aimer ? Hélas ! Quand même je posséderais ton cœur…

SILVIA.
Que le ciel m'en préserve ! Quand tu l'aurais, tu ne le saurais pas ; et je ferais si bien que je ne le saurais pas moi-même. Tenez, quelle idée il lui vient là !

DORANTE.
Il est donc bien vrai que tu ne me hais, ni ne m'aimes, ni ne m'aimeras ?

SILVIA.
Sans difficulté.

Marivaux, Le Jeu de l'amour et du hasard, Acte II, scène 9, 1730

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